CONTRE-ENQUETE (2) : Influence de la centrale sur les biens immobiliers et les finances communales

Nous poursuivons la réalisation d’une étude d’impact indépendante, pour compenser le manque de sérieux de celle qui a été réalisée par la préfecture. Après avoir estimé le risque sanitaire (nombre d’habitants en fonction de la distance à la centrale), nous essayons aujourd’hui d’évaluer l’impact sur la valeur des biens immobiliers. Quelle sera la baisse de valeur des maisons, immeubles ou commerces situés à proximité de la centrale d’enrobage à chaud ? Par ricochet, de combien seront réduit les impôts perçus par les communes ?

1. Une évaluation économétrique basée sur des recherches nombreuses

Disons-le d’entrée de jeu, il est difficile d’évaluer l’impact d’une installation industrielle polluante sur la valeur d’un bien immobilier. En effet, la valeur d’une habitation dépend de très nombreux facteurs et il est toujours difficile d’isoler le rôle d’un seul d’entre eux. Les économistes et les agences immobilières ont toutefois mis au point depuis plusieurs années des modèles mathématiques de prix hédonistes qui permettent de séparer l’effet des différents facteurs et de raisonner sur l’effet de la pollution industrielle « toutes choses égales » quand aux autres influences susceptibles de faire monter ou baisser les prix. Ils ont surtout étudié les évolutions des prix au cours du temps, avant et après l’arrivée d’une installation classée, ou bien avant et après un incident industriel majeur tel que la catastrophe AZF de Toulouse.

Sans prétendre faire une synthèse de tous les travaux existants, nous nous appuierons ici sur l’une des études les plus récentes en langue française, parue en 2009 à la Documentation française :

Travers Muriel et al., « Risques industriels et zone naturelle estuarienne : une analyse hédoniste spatiale » ,  Economie & prévision,  2009/4 n° 190-191,  p. 135-158.

L’intérêt de cet article est de fournir une revue détaillée des études antérieures en France et à l’étranger (abondante bibliographie), complétée par une étude de cas sur la zone industrielle de Port-Jérôme en Seine Maritime.

2. Des baisses de prix comprises entre 3 et 20%, décroissantes en fonction de la distance

On retiendra de la synthèse des travaux antérieurs effectuée par M. Travers & al. que les implantations industrielles polluantes du type de la centrale Eiffage de Bonneuil ont des impacts d’autant plus importants qu’elles sont visibles dans le paysage et qu’elles affectent de façon sensible l’environnement. La pollution de l’air est de ce point de vue particulièrement préjudiciable pour les prix immobiliers, même lorsqu’elle se limite à la production de mauvaises odeurs sans impacts prouvés sur la santé. La simple perception du risque suffit à faire baisser les prix de vente des biens situés aux alentours. Synthétisant une longue série de publications françaises, canadiennes et américaines, M. Travers & al. conclue :   « l’analyse de ces travaux indique que la présence de  sites industriels polluants et / ou risqués agit le plus souvent de manière significative sur le prix des résidences se situant à proximité et ce quelle que soit la manière dont ces effets sont mesurés. »

L’analyse des travaux cités indique en général des dépréciations de valeur immobilières d’au moins 3 ou 4% mais pouvant atteindre 10 à 20% dans le cas de très grandes installations de type Seveso, ou bien à la suite de catastrophes comme celle d’AZF à Toulouse. En ce qui concerne les distances, la plupart des études montrent que l’impact se fait sentir jusqu’à 2 à 4 kilomètres (1 ou 2 miles) et est évidemment plus fort à proximité même des installations. Ces chiffres ont été notamment obtenues dans le cas d’une installation française, comparable sur plusieurs points à la centrale Eiffage de Bonneuil :

Letombe G. et Zuindeau B. ( 2005 ) . “ Impact d ’un  établissement industriel polluant sur les valeurs immobilières de proximité : le cas de Metaleurop- Nord” , Economie appliqué, tome LVIII, n°4, pp. 161-191.

3. Essai de simulation de l’impact de la centrale Eiffage de Bonneuil sur les propriétaires fonciers des communes voisines

Nous tentons ici une première estimation grossière de l’impact économique de la centrale Eiffage, que nous affinerons par la suite de façon plus détaillée. L’important est de bien indiquer la méthode pour que chacun puisse ensuite faire lui-même les calculs.

Méthode : Nous partons des populations en fonction de la distance établies grâce à l’INSEE. Puis on en déduit le nombre de ménages en divisant par le nombre de personnes par logement. Nous avons fixé ici le chiffre à 3, ce qui devra être vérifié mais est grosso modo exact. Puis on essaye d’estimer la valeur totale des biens en multipliant le nombre de logement par la valeur de ceux-ci. L’estimation est compliquée car elle dépend de la surface des logements et de la valeur du mètre carré. Or la zone est riche en contrastes sociaux, de Bonneuil à Saint-Maur. Nous avons opté ici pour une valeur moyenne assez basse de 250 000 € par logement qu’on pourra réviser ultérieurement. Enfin, on calcule les dépréciations en partant d’une perte de 5% au contact même de la centrale et en réduisant la perte de 0.25% tous les 100 mètres pour arriver à un impact nul au delà de 2 kilomètres.

Conclusion : plusieurs millions d’euros de perte pour les propriétaires riverains et les finances communales

Même si ce calcul est juste indicatif, il donne un ordre de grandeur des pertes subies par les propriétaires des terrains voisins, de l’ordre de 70 millions d’euros. C’est ce qu’on appelle en économie une externalité négative, c’est-à-dire un dommage collatéral qui n’est pas supporté par l’entreprise responsable de la nuisance mais reportée sur l’ensemble de la société. Non seulement sur les propriétaires fonciers, mais aussi les communes qui verront baisser les revenus des impôts, ce qui les poussera à augmenter par ricochet les impôts sur toute la population, y compris les locataires …

Claude GRASLAND

pour le collectif T’AIR-EAU94