Beaucoup de personnes hésitent à condamner l’installation de l’usine Eiffage en considérant que les inconvénients en termes de pollution seront compensés par les avantages en termes de création d’emplois. Dans un contexte de crise et de fort chômage, il est effectivement important de se poser la question du bilan économique et social de cette implantation en termes de créations, mais aussi de destructions potentielles d’emplois pour les habitants des communes voisines. Or, on va voir que cet argument tourne plutôt en défaveur de l’implantation d’une centrale d’enrobé à chaud polluante qui risque de détruire à long terme bien plus d’emploi qu’elle ne va en créer à court terme.
1°) Une construction sous-traitée à une firme allemande important son personnel
La société Eiffage a délégué à l’entreprise allemande Benninghoven la construction de la centrale proprement dite. Cette dernière dispose d’une filiale française installée en Seine-et-Marne qui a fourni le chef de chantier, ce qui peut être considéré comme une création d’emploi pendant la durée de construction (6 mois). Mais les ouvriers spécialisés présents sur le chantier et logés dans des bâtiments de type Algeco vient pour l’essentiel d’Allemagne et d’Europe Centrale (Hongrie, Pologne, …). Lorsque l’on essaye de discuter avec les ouvrier au sortir du chantier, il est impossible de le faire en Français et l’Allemand est la seule langue comprise pour dialoguer. Cette équipe internationale a construit récemment une usine à Gand en Belgique et ne fait que passer dans la région le temps de construire la nouvelle usine. Auf Wierdersehn !
=> Il s’agit donc d’un cas classique de livraison clé-en-main par un fabricant qui amène son propre personnel spécialisé. En dehors du chef de chantier français, la construction de l’usine n’a donc pas crée d’emplois pour les habitants des communes voisines.
2°) Une centrale d’enrobage à chaud emploie 4 à 7 personnes en régime de croisière
Renseignement pris sur d’autres sites de taille équivalente, il apparaît qu’une centrale d’enrobage à chaud génère peu d’emplois directs. Son fonctionnement quotidien est assurée par une équipe de 4 à 7 personnes au maximum. Il ne s’agit donc pas d’une industrie fortement créatrice d’emploi, surtout si on rapporte ces emplois à la surface au sol occupée par l’implantation. On peut certes penser également aux emplois indirects engendrés pas l’usine. Mais en ce qui concerne le transport d’enrobés de l’usine vers les chantiers, ce n’est pas une création car il aurait lieu de toutes façons. On notera que, s’agissant des matières premières, le très polluant lignite viendra selon le rapport d’enquête du bassin de Cologne (Allemagne) où parait-il la teneur en polluant est moindre… Puisque cela ne crée pas d’emploi en France, à choisir, nous préférerions le gaz russe qui émet moins de particules ….
=> On a neutralisé près de 20 000 mètres carrés pour une implantation qui n’engendrerait donc que 4 à 7 emplois. C’est un gaspillage considérable de ressources foncières industrielles dans une zone où le terrain industriel est rare et où d’autres entreprises plus créatrices d’emploi sont à la recherche de terrains disponibles.
3°) Destruction directes d’emplois tertiaires à proximité de la centrale : restauration, loisirs, entreprises de bureaux, …
En admettant que les autres entreprises industrielles accepteront sans protester l’arrivée de l’usine Eiffage (ce qui reste à prouver …), on doit prendre en compte le cas des entreprises tertiaires dont l’activité de service va être directement affectée par les nuisances de l’usine Eiffage. Le cas le plus évident est celui des restaurants situés en bord de Marne qui verront sans nul doute leur clientèle péricliter, car il est difficile d’imaginer que les odeurs de goudrons favoriseront la fréquentation de leurs terrasses. Même chose pour les bases de loisirs aquatiques (canoë, aviron, …) et les terrains sportifs (stade Paul Meyer) où l’on peut prévoir un départ massif des clients habituels vers des zones plus salubres. Enfin, dans le cas des entreprises de bureaux qui avaient commencer à s’implanter dans le Port de Bonneuil, il est prévisible que les comités d’entreprises demanderont une délocalisation de l’implantation vers des zones d’activités plus saines.
Restaurant avec terrasse de charme situé en face de la future centrale. Les clients vont ils rester ?
Le stade Paul Meyer, vu de l’entrée du terrain Eiffage, à moins de 300 mètres. Nos sportifs vont-ils continuer à pratiquer leur activité dans un air pollué et nauséabond ?
Immeuble de bureaux situé à 200 mètres de la future centrale : le comité d’entreprise va-t-il demander le départ des emplois ?
=> Sans chercher à noircir la situation, on doit tout de même s’attendre à voir fermer rapidement plusieurs entreprises à proximité de la centrale et se délocaliser d’autres. Les personnes des communes voisines qui avaient trouvé un emploi près de chez eux dans ces entreprises se retrouveront au chômage ou devront désormais aller travailler beaucoup plus loin.
4°) Perte d’attractivité industrielle des zones d’activités du Port de Bonneuil et de Sucy-en-Brie
Au delà des activités tertiaires, on peut enfin craindre que l’arrivée d’une installation classée ne dissuade les autres entreprises industrielles de s’installer dans le Port de Bonneuil et dans les zones d’activités voisines des Petits Carreaux ou des Portes de Sucy. Les employeurs sont en effet soumis juridiquement au risque de « faute inexcusable » lorsqu’ils mettent en danger la vie de leurs salariés. Du coup, plus d’un industriel y regardera à deux fois avant de décider de s’implanter dans la zone de deux kilomètres située autour de la centrale Eiffage. Car même si celle-ci semble avoir franchi avec succès l’épreuve de l’enquête d’utilité publique, il n’ y a pas eu d’étude d’impact sur la qualité de l’air avant son installation et on ne pourra pas prouver sa responsabilité si des problèmes de santé au travail apparaissent dans 2 ou 3 ans.
Des entreprises industrielles non polluantes situées à moins de 100 mètres de l’usine Eiffage risquent de partir pour éviter le risque juridique de « faute inexcusable » à l’égard de la santé de leurs employés
=> Les entreprises industrielles non polluantes vont donc probablement quitter les zones proches de la centrale Eiffage pour se protéger juridiquement du risque de « faute inexcusable ». Et celles qui auraient pu s’y installer ne le feront pas afin d’éviter le voisinage avec des unités dangereuses susceptibles de nuire à leur réputation.
Conclusion : Peut-on prendre le risque de ruiner le poumon économique de Bonneuil, Sucy et le Haut Val-de-Marne ?
Le développement durable est une démarche qui associe l’économique, le social et l’environnemental. On peut accepter des compromis sur l’un des piliers lorsque le bilan est favorable sur les deux autres. Mais est-ce vraiment le cas ici ? L’impact négatif de la centrale sur le plan environnemental et sur le plan social ne semble hélas nullement compensé par un bilan économique positif. Outre la baisse de valeur des propriétés, on peut s’attendre à des destructions massives d’emplois dans les alentours de la future centrale et à une baisse de fréquentation des zones d’activités des communes et communautés de communes.
Or, les deux zones d’activités de Sucy et de Bonneuil sont le véritable poumon économique du secteur, comme le montrent la distribution des actifs et des emplois dans le Val de Marne à l’échelle des quartiers. Dans l’ensemble des environs, il y a un déficit d’emplois par rapport aux actifs disponible, ce qui entraîne des déplacements à longue distance vers Créteil, Paris, Rungis, Orly ou la Défense.
En s’opposant à l’ouverture de la centrale Eiffage, il s’agit bel et bien de défendre les emplois futurs de proximité pour les habitants des communes voisines. Et d’éviter de stériliser la zone la plus favorable à la création d’emplois. Car les toutes dernières statistiques de l’INSEE publiées en 2011 sont claires : c’est désormais le commerce, les services, le bâtiment et la recherche qui créent le plus d’emploi dans ces deux secteurs d’activité. Sur 51 entreprises créés dans le Port de Bonneuil en 2010, seule 3 l’ont été dans le domaine de l’industrie lourde. Même chose dans la zone d’activité de Sucy avec 2 créations d’entreprises industrielles lourdes sur 42 créations.
Tableau 1 : Nombre d’entreprises présentes et créées en 20110 dans les zones d’activité de Bonneuil et Sucy-en-Brie
Source : INSEE – Répertoire des entreprises et établissements (SIRENE) – Données par IRIS
=> Laisser ouvrir une usine polluante de plus, c’est mettre en danger la vie des 10 000 salariés qui travaillent aux abords immédiats du Port de Bonneuil et c’est aussi gréver l’avenir économique de Bonneuil, Sucy et les communes voisines.
Claude GRASLAND
Pour le collectif T’AIR-EAU 94